Le sort des délais de rupture conventionnelle au regard de l’ordonnance 2020-306

Parmi les 25 ordonnances adoptées le 25 mars 2020, l’ordonnance 2020- 306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période semble s’appliquer à la matière sociale et notamment aux procédures devant le Conseil de prud’hommes et les juridictions sociales ainsi qu’à la prescription de contestation des licenciements.

1 – Mesures générales relatives à la prorogation des délais en matière civile (titre 1er)

L’article 1er de l’ordonnance institue une « période juridiquement protégée » (qualifiée ainsi par la circulaire du 30 mars 2020 prise en application de cette ordonnance) entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 juin 2020.

L’article 2  précise que si durant cette période [12/03/2020 – 24/06/2020], « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque » aurait dû être accompli, il sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit nous dit l’ordonnance.

Ainsi, il existe un délai qui ne peut en aucun cas être dépassé, c’est celui du 24 août 2020 (deux mois après la fin de la période juridiquement protégée).

L’ordonnance prévoit donc une prorogation des délais notamment procéduraux en matière civile :

Ainsi et pour exemples :

  • si le délai d’appel d’un jugement au fond expire le 15 avril 2020, la partie intéressée dispose d’un délai qui expirera le 24 juillet 2020 (un mois (délai d’appel traditionnel d’un mois) décompté à compter du 24 juin) ;
  • Si le délai d’appel d’une ordonnance de référé expire le 15 avril 2020, la partie intéressée dispose d’un délai qui expirera le 9 juillet 2020 (15 jours (délai d’appel traditionnel de 15 jours) décomptés à compter du 24 juin) ;
  • Si l’appelant a interjeté appel d’un jugement au fond le 2 mars 2020, il doit au plus tard régulariser ses conclusions le 24 août 2020 au lieu du 2 juin 2020 (3 mois après la déclaration d’appel) ;

Il est préférable toutefois, pour éviter toute difficulté, de régulariser les actes sans attendre l’expiration du délai supplémentaire celui « pouvant le plus pouvant le moins ».

  • Un salarié a fait l’objet d’un licenciement par lettre du 15 avril 2019 ; en principe, il dispose d’un délai qui expire le 15 avril 2020 pour contester la mesure de licenciement. En application de l’ordonnance, ce délai est reporté au 25 août 2020.

Une ambigüité demeure sur l’étendue de l’article 2 rédigé de la manière la plus large qui soit.

Quid des différents délais institués par le code du travail, par exemple pour informer l’employeur d’un refus de modification de poste pour motif économique ou de la durée du travail en application d’un accord de performance collective ? Ou encore quid du délai de rétraction de 15 jours calendaires dont bénéficient les parties en matière de rupture conventionnelle ?

La rédaction de l’ordonnance « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification », rendue au visa du Code de procédure civile dont l’article 749 précise qu’il s’applique à toutes les juridictions et la computation de ces délais dans les règles des articles 640 et suivants du même code, laisse à penser qu’elle pourrait s’appliquer à ces cas.

Néanmoins une vision extensive aurait pour conséquence de paralyser les employeurs.

Le débat fait rage et, interrogée, l’administration devrait rapidement communiquer des précisions.

2 – Dispositions particulières et question de la rupture conventionnelle (titre 2)

Le titre II de l’ordonnance, consacré aux délais administratifs, prévoit en son Article 6, qu’il s’applique notamment aux « administrations de l’Etat », que peuvent être par exemple les DIRRECTE.

L’article 7 précise, quant à lui, que :

« Sous réserve des obligations qui découlent d’un engagement international ou du droit de l’Union européenne, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er. »
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l’article 1er est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.

(…) ».

Que comprendre de ce texte en matière de rupture conventionnelle ? Est-elle concernée par ces dispositions ?

Selon nous, la rédaction de l’article 7 semble s’appliquer aux demandes d’homologation (ou d’autorisation pour les salariés protégés) de ruptures conventionnelles adressées à la DIRRECTE.

On sait qu’en principe, le silence durant 15 jours ouvrables de l’administration à compter de la réception de la demande vaut homologation et que le contrat de travail est rompu, au plus tôt, le lendemain.

Les DIRRECTE pourraient considérer que le délai d’homologation est prorogé jusqu’au 24 juin 2020 (fin de la période juridiquement protégée) et que ce n’est qu’à cette date, si elle ne s’est pas prononcée de manière explicite, que son silence vaudrait homologation.

Dans ce cas, il existe un risque que les DIRRECTE refusent d’homologuer des RC déjà signées qui ont prévu une date de rupture du contrat à l’expiration du délai de 15 jours ouvrables traditionnels.

Exemple : une RC signée en mars 2020, a prévu une date de rupture du contrat au 15 avril 2020. La DIRRECTE pourrait refuser, de manière explicite, d’homologuer la rupture.

Autre hypothèse, elle pourrait considérer que le délai d’homologation étant prorogé, la rupture du contrat ne saurait avoir lieu à l’issue du délai de 15 jours et l’employeur sera contraint de maintenir le salarié dans ses effectifs.

Pour l’avenir, et compte-tenu de l’incertitude, nous conseillons donc à nos clients souhaitant signer des ruptures conventionnelles de prévoir au plus tôt une date de fin de contrat au 25 juin 2020.

Vigilance donc, les textes adoptés en en période de circonstances exceptionnelles et donc dans l’urgence étant souvent difficiles à appréhender.