Droit de retrait et Covid19

A l’heure où les trois principales organisations syndicales du transport routier de marchandises, considérant que les conditions de travail des salariés sur la route ou en entrepôts manquent toujours de « sécurité sanitaire », demandent aux concernés d’exercer leur droit de retrait à partir du lundi 30 mars 2020, il nous est apparu nécessaire de revenir sur la notion de droit de retrait du salarié au regard de la crise sanitaire sans précédent que connait le pays.

  1. Définition du droit de retrait en droit du travail

 Il est régi par les dispositions de l’article L. 4131-1 du Code du travail selon lesquelles :

 « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation.

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection. »

Le droit de retrait peut être exercé individuellement par un salarié ou bien par un groupe de salariés.

L’exercice unilatéral de ce droit individuel neutralise provisoirement les pouvoirs de direction et disciplinaire de l’employeur. Ainsi, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être immédiatement prise à l’encontre d’un salarié ou d’un groupe de salariés qui ont exercé leur droit de retrait (C. trav., art. L. 4131-3).

Selon nous, l’employeur peut toutefois par la suite, c’est-à-dire dans un délai bref, et après une analyse exhaustive, concrète et précise de la situation – dont il aura le cas échéant à justifier – prononcer une sanction ou pratiquer une retenue sur salaire, s’il établit que les circonstances de fait contredisent l’existence d’un danger grave et imminent. Ces décisions, prises dans le cadre du pouvoir de direction de l’employeur, pourront ultérieurement être discutées devant les tribunaux (voir infra.).

En cas de non-paiement des salaires, il a été jugé que la prise d’acte du salarié ayant légitimement exercé son droit de retrait s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 1er juill. 2009, no 08-42.074).

Par ailleurs, le licenciement sanctionnant l’exercice légitime du droit de retrait est susceptible d’être frappé de nullité et d’entrainer la réintégration du salarié (Cass. soc ; 28 janvier 2009, n° 07-44.556).

Ce droit de retrait s’accompagne d’un dispositif d’alerte appartenant au CSE (ex CHSCT) en cas de « danger grave et imminent »   en application de l’article L. 4131-2 du même code.

Toutefois, les deux dispositifs sont parfaitement indépendants et le salarié n’est donc pas tenu d’informer en premier lieu le CSE puis l’employeur. Il peut parfaitement n’alerter que ce dernier (Cass. soc., 10 mai 2001, no 00-43.437).

  1. Champ d’application du droit de retrait

Le droit de retrait individuel s’applique aux employeurs de droit privé, aux établissements publics à caractère industriel et commercial, aux établissements publics administratifs lorsqu’ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé, ainsi qu’aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

 Les développements qui suivent ne concernent pas le droit de la fonction publique mais un dispositif similaire est prévu par les textes sauf pour certaines professions incompatibles avec l’exercice de ce droit (douanes, police, administration pénitentiaire, etc.)

 Le droit d’alerte concerne tous les salariés, quelle que soit leur situation juridique et la nature de leur contrat ainsi que les travailleurs temporaires, les salariés mis à disposition, et les stagiaires et plus généralement toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur.

S’agissant du cadre juridique contractuelle contrat de travail doit être en cours d’exécution pour autoriser le salarié à invoquer son droit de retrait.

Il ne saurait donc être invoqué lorsque le contrat est suspendu pour quelque cause que ce soit et notamment en cas d’arrêt maladie (qu’il s’agisse de l’arrêt maladie classique ou de l’arrêt de travail indemnisé lié à l’actuelle épidémie).

Il ne saurait non plus, selon nous, être mis en avant par un salarié en télétravail, situation vécue actuellement par des millions de salariés : le contrat est certes en cours d’exécution mais ses modalités d’exécution limitant, voire excluant, en principe, d’être confronté à une situation de « danger grave et imminent ».

  1. Les conditions de forme du droit de retrait

Qu’il ait ou non décidé d’arrêter le travail, le salarié est tenu de signaler immédiatement à l’employeur le danger constaté.

S’il l’exerce, le droit d’alerte n’obéit à aucun formalisme ou procédure.

En conséquence, aucune disposition ne peut lui imposer d’exercer ce droit par écrit.

Toute clause d’un règlement intérieur prévoyant une telle sujétion non justifiée par les nécessités de la sécurité dans l’entreprise serait déclarée illégale (CE, 4 mai 1988, no 74.589), Cass. soc., 28 mai 2008, no 07-15.744).

La jurisprudence a même admis qu’il pouvait être déduit des circonstances de fait.

  1. La notion de « danger grave et imminent » et l’office du juge

La notion de danger grave et imminent s’apprécie du point de vue du salarié, au regard de ses connaissances et de son expérience. Dès lors, que le salarié a un motif légitime de croire à un danger possible, il peut exercer valablement son droit de retrait.

Peu importe qu’un rapport d’expert ait conclu par la suite à l’absence de tout danger réel et prévisible (Cass. crim., 8 oct. 2002, no 01-85.550) ou qu’un rapport de visite de l’inspecteur du travail ait finalement conclu dans le même sens (Cass. soc., 23 mars 2005, no 03-42.412).

Ce qui importe, c’est qu’au moment où le droit de retrait a été exercé, le salarié ait pu penser qu’il existait un tel danger. Cette question est donc à prendre en compte dans l’analyse de la situation avant éventuelle sanction ou retenue sur salaire.

A ce titre, le ministère du travail a publié les 3 premières fiches pratiques précisant les modalités de protection des travailleurs :

https://travail-emploi.gouv.fr/mot/fiches-pratiques-du-droit-du-travail

Ces prescriptions doivent être respectées impérativement sous peine de voir le droit de retrait justifié.