Affaire Amazon : les recommandations du juge sur la prise de mesures concrètes

Ordonnance TJ Nanterre, 14 avr. 2020, Union syndicale Solidaires c. Amazon France logistique RG 20/00503

Après l’ordonnance du tribunal judiciaire de Paris du 9 avril 2020, commentée ici,  le juge des référés de Nanterre est venu rappeler aux entreprises leurs obligations en matière d’hygiène et de sécurité, ainsi que de protection de la santé des salariés dans le cadre de la pandémie Covid-19.

La décision est sur le plan du droit très contestable. Le juge des référés a empiété sur le pouvoir de direction de l’employeur, afin d’obtenir le résultat escompté : la protection des salariés. 

Le juge a obligé la société Amazon à de limiter son activité aux seules commandes de produits alimentaires, médicaux et d’hygiène, tant qu’elle n’aura pas apprécié correctement les risques auxquels sont exposés ses salariés, du fait de la pandémie Covid-19. Prise de court, a fermé ses entrepôts français jusqu’au 20 avril 2020 pour effectuer cette évaluation.

Si l’on met à part la violation du principe de libre entreprise, le jugement est riche d’enseignement sur le fond.

A l’instar de la décision du TJ de Paris du 9 avril 2020, le juge des référés de Nanterre a rappelé, en premier lieu, les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité des travailleurs (C. trav., art. L. 4121–1), ainsi que d’évaluation des risques et de mise à jour du DUER concernant ces risques créés par l’épidémie de Covid 19 (C. trav., art. L. 4121- 3 et R. 4121-1 à 4), évaluation à laquelle doivent être associés les représentants du personnel.

Il a souligné, en second lieu, que l’employeur doit prendre des mesures concrètes et s’assurer que « les règles de distanciation et les gestes barrière sont effectivement respectés au sein de l’entreprise ».

Après avoir constaté que les instances représentatives du personnel n’avaient pas été associées à l’évaluation des risques que la direction de la société Amazon indiquait avoir menée, le tribunal a examiné concrètement les risques de contamination présents au sein des entrepôts de la société.

S’il a considéré que les mesures permettant le recensement des salariés suspectés ou porteurs du virus, ainsi que les actions à mener lorsque de tels cas surviennent, étaient suffisantes, il n’en est pas de même pour les risques de contamination dans les situations suivantes :

–         le maintien d’un portique tournant à l’entrée des centres de distribution obligeait les salariés à le pousser et a créé des files d’attente de centaines de salariés, de sorte que les règles de distanciation, ainsi que la fourniture de SHA ne suffisent pas à garantir l’absence de contamination ;

–         l’utilisation des vestiaires était également source de danger, malgré des moyens de désinfection mis à disposition et la présence « d’ambassadeurs d’hygiène » (sic), car « les salariés déposent leurs manteaux les uns à côté des autres sur des rambardes à proximité de leur poste de travail génère de nouveaux risques de contamination » et le vestiaire du service de maintenance était exigu.

–         S’agissant des plans de prévention avec les entreprises extérieures (nettoyage, restauration, maintenance, transporteurs, etc.), « si des mesures ont été prises et que l’organisation du travail a été constamment modifiée, pour répondre à l’évolution de la situation », aucun protocole de sécurité n’avait été formalisé, il n’est pas justifié de tous les plans de prévention. En outre, les changements (épars selon les établissements) avaient été opérés sans concertation des représentants du personnel et n’avaient pas été portés de manière appropriée à la connaissance du personnel ;

–         enfin concernant les « risques liés à la manipulation des colis qui passent de main en main », alors qu’une étude indiquait que sur certains supports le virus peut subsister durant 24 heures, le juge, après avoir relevé que « le risque de contamination tenant aux manipulations successives des objets depuis la réception dans les établissements à la livraison par les chauffeurs », n’avait pas fait l’objet d’une évaluation dans le DUER, a considéré que « le seul fait d’affirmer que les gestes barrières permettent une protection efficace ne répond pas à l’obligation d’évaluer préalablement les risques avant de définir les mesures de sécurité et de prévention nécessaires ».

Se référant à l’article L.4121- 1 précité, le Tribunal a relevé que si des mesures d’information et de communication ont été prises par la société, celle-ci peinait à justifier d’une formation renforcée à l’attention des salariés (par exemple une formation sur l’utilisation des gants, pourtant vecteurs de contamination s’ils sont mal utilisés).

De manière générale, le juge a noté à plusieurs reprises que la société ne justifiait pas des mesures, communications et audits qu’elle avançait et qu’elle procédait avant tout par voie d’affirmations.

En conséquence, l’évaluation des risques effectuée par AMAZON est jugée « insuffisante et la qualité de celle-ci ne garantit pas une mise en œuvre permettant une maîtrise appropriée des risques spécifiques à cette situation exceptionnelle ».

Dès lors, la société Amazon avait « de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé de ses salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite » ,ainsi qu’un « dommage imminent constitué par la contamination d’un plus grand nombre de salariés et par suite la propagation du virus à de nouvelles personnes. (…)».

 Cette décision est à comparer avec celle rendue à l’encontre de la Poste le 9 avril dernier aux termes de laquelle était rappelé les très nombreuses mesures effectives et concrètes mises en œuvre par l’employeurainsi que les nombreuses réunions avec les élus, de sorte que les demandes des organisations syndicales avaient été pour l’essentiel rejetées.

Il faut donc rappeler aux employeurs la nécessité de :

–         faire preuve d’une extrême vigilance dans le maintien de l’activité ;

–         procéder, en collaboration étroite avec les IRP à  une  évaluation préalable et régulière des risques ;

–         formaliser et mettre à jour régulièrement les DUER en concertation avec les IRP ;

–         prévoir et mettre œuvre des mesures concrètes et efficaces pour éviter tout risque de contamination, en insistant sur la communication, l’information et la formation du personnel.

La suite devant la cour d’appel de Versailles….