Revirement de jurisprudence : faute inexcusable de l’employeur et indemnisation des victimes

Les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sont indemnisées de manière forfaitaire, par le paiement d’une rente versée par la caisse de sécurité sociale.

La rente qui est majorée en cas de faute inexcusable de l’employeur (lorsque le salarié a été soumis à un danger qui ne pouvait être ignoré par l’employeur).

Cette réparation forfaitaire, prise en charge par la collectivité, exclut en principe que la victime puisse se retourner directement contre l’employeur, sauf en cas de faute inexcusable.

Dans cette hypothèse, quelques préjudices non couverts par la rente peuvent faire l’objet d’une demande du salarié, tels que le préjudice d’agrément, les souffrances physiques ou morales (à condition de démontrer un préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent), ou encore le préjudice sexuel.

Mais, jusqu’à présent, la jurisprudence considérait que l’essentiel des préjudices de la victime étaient indemnisés par la rente, notamment le préjudice professionnel (pertes de gains professionnels) ainsi que le fameux « déficit fonctionnel permanent », soit le handicap subi par la victime au quotidien, après consolidation.

Aux termes de deux arrêts du 23 janvier 2023, la Cour a drastiquement modifié son analyse de ce déficit fonctionnel et ouvert la voie à une indemnisation complémentaire plus importante (Cass., Ass. plén. 20 janvier 2023, n° 21-23.947 et 20-23.673).

Dans ces 2 espèces, il s’agissait de salariés victimes de l’amiante, décédés d’un cancer du poumon.

S’alignant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE 8 janvier 2013 R. Lebon 361273) qui estime que la rente ne couvre que les préjudices professionnels (perte de gains professionnels, incidence de l’incapacité sur l’évolution professionnelle future), la Haute juridiction a décidé que cette rente n’indemnisait pas le déficit fonctionnel permanent, c’est-à-dire les souffrances éprouvées par la victime dans le déroulement de sa vie quotidienne.

En conséquence :

  • la réparation de ces préjudices peut désormais être obtenue sans que les victimes n’aient à prouver un préjudice distinct de ceux réparés par le paiement de la rente ;
  • cette jurisprudence va permettre aux victimes d’être mieux indemnisées et de facto entraine des conséquences financières importantes pour les employeurs ;
  • il est donc essentiel d’agir sur la prévention, de repenser les conditions de travail pour réduire le risque d’accident du travail et de maladie professionnelle et plus encore de condamnation pour faute inexcusable ;
  • en cas de survenance d’un accident, il est essentiel d’en analyser les circonstances de fait et si la situation le justifie, d’émettre dès la déclaration des réserves objectives et précises, afin d’obvier le risque d’une condamnation pour faute inexcusable.